1er prix Adultes : "MEMOIRE VIVE" de Valérie ALLAM
2ème prix Adultes : "LE JARDIN DES SOUVENIRS" de Françoise DEROUT-BASCOULERGUE
1er prix Juniors : "NON-SENS" de Clara NIZZOLI (La Seyne sur mer) 15 ans.
La dernière fois que je vécus, je me suicidai. J'étais alors un adolescent de quatorze ans et je souffrais d'un surplus de réalisme. Les gens me disaient que je prenais trop conscience de la réalité du monde qui m'entourait. Certains me qualifiaient tout simplement de « pessimiste» ou de « dépressif». Pour moi, le monde et l'humanité étaient une immense erreur, erreur irréparable.
Dès mon plus jeune âge, j'eus tôt fait de réaliser que nous n'avions pas d'amis, de proches, que ces mots n'étaient que d'immondes illusions derrière lesquelles se cachaient les pires atrocités.
Je me savais donc seul et mal armé d'un réalisme exagéré pour affronter la vie.
Car la vie, il fallait l'affronter ; c'était une merde collante au milieu de laquelle on tentait de se frayer un chemin.
Ainsi préparé, j'avançais vers mon funeste destin, de déceptions en déceptions.
Peu à peu, je réalisais la cruauté des Hommes, leur égoïsme, leur bêtise ; je réalisais leur capacité à se faire du mal, capacité dont je n'étais pas exempté. Tous les malheurs de l'humanité prenaient pour moi des proportions exagérées et toutes mes perceptions étaient décuplées. Les guerres, les meurtres, les viols, les morts, tout cela me touchait directement.
Puis j'appris à me cacher derrière une forteresse de béton où plus rien ne pouvait m'atteindre.
Ma sensibilité disparut pour laisser place à une froideur placide.
Mais tout cela s'ébranla lorsque je commençai à me demander la raison de mon existence et à chercher un sens à ma vie. Je n'en trouvais pas. Je fus rien, j'étais un être vivant - ne parvenant pas à trouver sa place dans une société où la réalité le heurtait de plein fouet- et je redeviendrai rien. Sur ce point-là, je me trompais.
Lorsque je voyais mon reflet étriqué dans un miroir, je me demandais qui j'étais. Je n'avais pas d'identité et tout m'apparaissait incompréhensible et donc inacceptable.
C'est ainsi qu'à quatorze ans, je me suicidai ; une balle au fond de la gorge, autant aller jusqu'au bout dans l'horreur de la réalité.
Maintenant, ce n'est plus à la vie que je cherche un sens, mais à la mort. Quoique depuis mon décès, ces questions ne me préoccupent plus beaucoup. Il faut dire que je ne suis plus la même personne, je n'ai gardé que la partie initiale de mon âme. Et bientôt, elle aura intégré un nouveau corps, dans lequel, je l'espère, elle sera plus à l'aise. J'admets enfin qu'il n'y a pas d'issue à la vie, à la mort, à la réalité, au malheur. Pour échapper au tourbillon infernal de la vie, je voulais mourir, et maintenant que je suis mort, ça ne change pas grand-chose… Puisque de toute façon, je vais bientôt recommencer à vivre. Dommage… Avoir vécu quatorze ans pour ne mourir que quelques heures…
D'ailleurs, on m'appelle…
«Âme n°2325 !» C'est moi ! Ah, je vais être renvoyé sur Terre. Sous quelle apparence ? Personne n'a le pouvoir de me le dire, paraît-il que la communication avec le Destin est coupée… De toute façon, je n'ai pas mon mot à dire... Et me revoilà sur Terre !
Oh là là ! Ce que c'est lourd un corps, ce que c'est pesant... Je m'y sens mal… Non, s'il vous plaît… Mais il est encore temps de mourir… Je suis dans le ventre de Maman, il suffit que je m'étouffe avec ce cordon ombilical… Un petit tour par ici… Comme ça… Et voilà, parfait. Ça y est, je suis mort.
Décidément, je ne vis jamais très longtemps !
Mais ils n'en sont pas très satisfaits…
Ils décident donc de me renvoyer immédiatement sur Terre.
C'est ainsi que je deviens une jeune fille insouciante, totalement différente de mes premières incarnations et n'en gardant d'ailleurs aucun souvenir. Je suis sociable et souriante, je prends la vie comme elle vient, sans me poser de questions. A vingt-sept ans, je me marie, j'engendre deux enfants. Mon mari est un homme fabuleux, mais durant nos quarante ans de mariage, j'éprouve le besoin de le tromper de nombreuses fois, malgré l'amour que je lui porte.
Il n'en sut jamais rien. C'est ainsi que lorsqu'il meurt, ayant atteint ses quatre-vingts ans, alors que je n'en ai moi-même que soixante-sept, je suis rongée de culpabilité. Ma désinvolture s'efface et mon ancien moi reprend le dessus. Je décide donc de partir dans un périple distrayant à travers le monde. Les hommes ne me préoccupent plus et je tente de faire passer ce goût amer de remord. Je passe du temps chez une cousine éloignée, en Provence. Elle demeure dans une vieille maison familiale emplie de souvenirs et encore imbibée de passé. J'y vis des instants merveilleux, fouillant dans son incroyable grenier. On y trouve le vécu de plusieurs générations, des objets oubliés, des carnets délaissés et jamais nous n'avons fini d'explorer ce lieu magique. Bien que je sois déjà grand-mère, je ne cesse de m'émerveiller devant les surprises que l'on peut y découvrir.
Mon attention fut retenue par un journal sobrement relié de cuir. Les pages étaient toutes remplies d'une petite écriture brouillonne. L'auteur semblait avoir écrit à la hâte comme si ses mots allaient s'échapper de son esprit avant qu'il ne les écrive, comme s'ils se bousculaient tous dans sa plume pour pouvoir en sortir et qu'il ne savait lesquels libérer. Il paraissait avoir écrit comme si quelque chose le pressait, comme si le temps le poursuivait.
Saisie de curiosité, je me lançai à corps perdu dans la lecture du récit. Je ne savais pas encore quel bouleversement il allait entraîner en moi.
Le 12 décembre 1942
Je me sens différent des autres enfants. Mais aussi différent des adultes. Ce n'est pas que je ne les aime pas, mais je ne parviens pas à éprouver le moindre sentiment à leur égard. Je sais que tous les gens qui aujourd’hui te disent qu'ils t'aiment pourront te poignarder demain, que les gens vont là où est leur intérêt. Je sais que tous les couples se brisent un jour ou l'autre, que la confiance n'existe pas et l'amour éternel non plus.
Oui, j'ai huit ans et je sais tout cela.
Ces mots me firent frissonner. Cela me rappela l'abjecte conduite que j'avais eue avec mon mari. Et pourtant je ne voulais pas croire tout ce que ce gamin écrivait. Je poursuivis ma lecture.
Le 27 avril 1943
Le monde est une erreur. Nous sommes tous issus d'une erreur. Nous sommes une erreur. Chacune de nos paroles n'est que bêtise, personne d'entre nous ne sait rien, mais pourtant chacun continue à vivre comme s'il avait raison.
Pourtant, nous avons tous tort.
Le 2 juin 1943
On m'a dit que j'étais trop mature pour mon âge. Trop réaliste, trop pessimiste et pas assez naïf. Les adultes s'étonnent que je ne crois plus à leurs belles histoires, les enfants ne comprennent pas pourquoi je renie l'existence du Père Noël. Mais enfin, personne ne comprendra-t-il donc jamais ? Il y a des choses horribles dont personne ne se rend compte, alors pourquoi accorder de l'intérêt à des inventions qui ne sont là que pour nous distraire ?
Le 19 octobre 1944
C'est la guerre et les gens continuent à faire comme si de rien n'était. On me demande pourquoi je suis triste alors que je n'ai perdu aucun proche.
Mais je sais que des gens meurent et cette vérité, je ne peux pas l'oublier, je le sais.
Je ne peux pas vivre comme si des milliers de gens ne tombaient pas sous les coups de fusils tous les jours. On m'a qualifié d'hyper-sensible.
Le 7 janvier 1945
Même si tout est dramatique, j'ai décidé de me protéger contre l’horreur de la vie.
Le 29 août 1946
« La vie est une merde collante dans laquelle je tente de me frayer un chemin»
Le 31 décembre 1946
Pourquoi suis-je là ?
Le 3 février 1947
Je fus rien et je le redeviendrai.
Le 14 mai 1947
Ma vie m'est de plus en plus insupportable. Je ne sais pas qui je suis, d'où je viens, où irais-je et je n'ai aucun moyen de répondre à ces questions. Mon existence n'a aucun sens. J'ai l'impression que je ne suis pas la bonne personne, que je ne peux pas trouver ma place dans ma peau car elle ne m'est pas vraiment adaptée. Je suis une pièce de puzzle mal imbriquée.
Est-ce que le monde existe vraiment autour de moi?
Ne suis-je pas qu'une illusion ?
Le 9 juillet 1948
Dans une heure, j'aurai quatorze ans et une balle au fond de la gorge. Ma vie est trop atroce, je ne peux continuer ainsi. Je n'ai ni attache, ni ami, ni famille à laquelle je tienne. Rien ne me retient dans ce lieu où tout est incertain et trop mystérieux. Adieu.
Le journal s'arrêtait ici. Je regardai par la fenêtre et vis que la nuit commençait à tomber. J'avais donc passé tout l'après-midi ici ? J'étais tellement passionnée par ma lecture que je n'avais pas vu le temps s'écouler. A présent je me sentais mal et cherchais une réponse aux questions du jeune garçon. Mon insouciance caractéristique m'avait totalement quittée et mon esprit était assailli par des interrogations sans réponse. Ma vie m'apparut comme un chemin inutile, je n'avais rien accompli. D'ailleurs, que pouvais-je accomplir? Il n'y avait rien à accomplir. Le monde était une erreur, l'adolescent avait raison. Ma vie n'était qu'une énorme farce qui n'avait aucun sens. Je commençais à me sentir vraiment mal et les questions que je ne m'étais jamais posées se bousculaient désormais dans ma tête. J'avais envie de vomir tout ce moi inconnu, de vomir toute l'incompréhension qui régnait dans mon être.
Je sortis mon briquet et brûlai toutes les pages noircies du journal. Il ne resta plus que des feuilles vierges. Puis je pris mon inspiration et enjambai la lucarne du grenier. Je ne tardai pas à tomber du toit glissant et pentu pour aller m'écraser six étages plus bas.
Oui, je suis morte. Oh, que c'est bien d'être morte. Cette sensation ne dure pas longtemps, car à peine me suis-je habituée au continent des morts qu'une voix retentit :
« Âme n°2356 ! »
2ème prix Juniors : "LES DERNIERS AVEUX" de Alexia ADJARIAN.
Prix Juniors Collectif : "LA CREPE FLAMBÉE" de Adrien BAUDOUIN, Benjamin GANNE, Bruno PARIS et Gauthier PLANCQUAERT - Classe de 3e4 - Professeur Stéphanie CLECH-ROUX - Ecole de la Nativité à Aix en Provence.