CONCOURS DE NOUVELLES 2009

"Le Fleuve"

Catégorie Juniors

 

1er prix Juniors : "EN EAUX TROUBLES" de Lucas Brivet

e vins au château pour la première fois en une belle matinée ensoleillée. J’arrivai par la route de dalles blanches qui traversait les champs dorés d’épis de blé du Comte. Des ouvriers agricoles travaillaient là, récoltant les cultures mûres inondées par le Soleil. Je parvins rapidement à un petit bois qui une fois traversé fit place à un splendide spectacle. Un immense fleuve coulait là, ses impressionnants méandres serpentant à perte de vue. Je me tenais sur sa rive gauche, une légère pente herbeuse qui plongeait à l’eau. Sur son bord, des roches pointaient leur nez brisé vers le ciel azur d’où le Soleil m’arrosait copieusement de ses rayons dorés et brûlants. Quelques saules pleureurs s’éparpillaient jusqu’à l’eau et un petit sentier vagabondait autour d’eux. Un imposant pont de pierres s’élançait avec élégance jusqu’à l’autre rive soutenu par de puissants piliers formant des arcs au dessus de l’eau. Quelques embarcations passaient en-dessous, des marchands parlant avec enthousiasme à leur bord. Des loutres jouaient dans l’eau tandis qu’une multitude de poissons nageaient joyeusement, se roulant dans le sable fin du lit du fleuve. Un vaisseau à voile remontait doucement le long du géant d’eau. Son lent courant ne le ralentissait pas et le mistral continuait de l’aider à avancer. Les eaux du fleuve, fraîches et limpides, semblaient refléter le ciel, tant leur bleu était pur et nullement troublé par une once de vert. Des roseaux se balançaient au gré de la calme brise qui ridait la surface de l’eau jusqu’à la rive droite, d’où s’élevait une forteresse somptueuse. Les murailles épaisses naissaient dans l’eau, de grands remparts protégeaient la cité tandis que le donjon central dominait de son impressionnante hauteur tout le bassin fluvial. Autour de la ville de pierres grises se trouvait une forêt éparse qui s’étendait sur toute la longueur du fleuve. Les oiseaux chantaient mélodieusement, accompagnés des cigales qui se relayaient afin d’offrir leur refrain typique de la belle saison. Non loin de la berge, une bande d’enfants rieurs se baignait et s’éclaboussait généreusement. Empli de la puissance de cette gigantesque force aquatique, qui rivalisait aussi bien avec le château qu’avec le Soleil, je me sentis brusquement plus heureux que je ne l’avais jamais été.

e me liquéfiai alors et m’écoulai dans cet impressionnant fleuve. La chute ne me fit pas peur du tout et je me frayai un chemin à travers toutes les autres eaux. Leur limpidité m’étonna fortement, et je m’enfonçai jusqu’au lit, où le courant se faisait un peu moins violent. Je m’entortillai un moment dans une algue gluante avant de m’en défaire. Soudain, la voix tonnante du Fleuve gronda et l’affolement généré par toutes les eaux qui sommeillaient créa une accélération brutale du courant. Je me retrouvai coincé entre un caillou poreux et une plaque rouillée. Le Fleuve ordonna que les eaux paresseuses couchées sur son lit remontassent à sa surface pour s’élever jusqu’au donjon. Elles devraient espionner le Comte qui apparemment complotait contre nous. Je maudis intérieurement le courant de m’avoir acculé de la sorte, et m’empressai de progresser jusqu’à l’air. Le Soleil me réchauffa rapidement, et je m’élançai à travers les vents. Mon ascension fulgurante fut certainement la plus rapide et je m’amusai à barbouiller une pie odieuse qui s’était mise au travers de ma route. Elle jacassa longuement après ma fuite. Mais le plus dur restait à faire : il fallait à présent s’infiltrer dans le mur. Ce dernier était lézardé profondément, il fut aisé d’en traverser la moitié. Le reste fut encore plus difficile, l’étau se resserrant terriblement, et je m’étirai au maximum pour parvenir à mes fins. Sonné, je voguais dans la chambre du Comte qui observait attentivement les rayonnages de sa bibliothèque. Une charmante jeune fille allongée sur le lit le suivait de ses yeux émeraude. Ses fins cheveux châtains tombaient en cascade sur ses maigres épaules. Son teint clair et ses joues roses complétaient ses traits ronds et gracieux.

Le Comte saisit vivement un ouvrage et vint s’asseoir auprès de sa fille. Il feuilleta rapidement les pages afin d’arriver au sommaire. Brusquement, je me sentis lourd, des « bips » stridents fusaient dans l’air. Ce fut un cri de victoire qui écrasa tous ces bruits néfastes et ininterrompus: le Comte avait trouvé l’information qu’il cherchait :
- Regarde Marie ! Les voilà, les notes à propos du trésor du Fleuve.
- Parce qu’il y a en un ? demanda-t-elle, soudain intéressée.
- Oui. Il est dit que seul celui qui réussira à le dompter possédera la Larme de Saphir.
- Le dompter ? Je ne comprends pas dans quel sens.
-« Il faudra puiser ses eaux, drainer sa vie, l’utiliser à toutes les fins possibles et imaginables jusqu’à ce qu’il devienne un misérable ruisseau qui cédera et confiera à son maître le plus merveilleux des présents. » Et voilà !
- Et voilà ? Ce n’est tout de même pas ce que tu comptes faire ?
- Bien sûr que si ! Ce château m’a coûté une fortune, et même si je suis Préfet, un beau bijou ne sera pas de refus. Il suffit de l’assécher.
- Il suffit de l’assécher ? Mais papa, on parle d’un fleuve !
- Doucement. La région est en pleine industrialisation. Les champs ont cruellement besoin de canaux, tout comme toutes les usines qui vont se bâtir. Cela sera plus facile que tu ne le crois, tu verras.
- As-tu lu la dernière phrase ? « L’acquisition d’une Larme vaudra bien le sacrifice d’une goutte, sans doute ».

La nuit tombait et je savais que désormais, le Comte ne reculerait devant rien pour nuire au Fleuve. Sa folie, accentuée par ce récit de source anonyme, n’avait aucune limite. Je ruisselai sur la muraille pour descendre rapidement, les vents étant contraires à ceux du crépuscule. Je redevins entier une fois en bas et coulai jusqu’au fleuve. Le géant d’eau gémit en entendant les tristes nouvelles et me congédia brutalement. Je me fondis dans la masse, et me laissai porter par le courant fluvial, plus fort sur la rive droite. Le visage de la future Comtesse me hantait, et je ne parvenais pas à le chasser de mes pensées. Les eaux ronflaient bruyamment, laissant échapper des centaines de bulles qui tournoyaient jusqu’à la surface. Je me calai au creux d’un ponton avant de m’endormir paisiblement.

Le lendemain matin, tous les hommes du Comté furent appelés à une mission bien spéciale qui était de « travailler le fleuve ». En effet, le Comte voulait que des barrages et des déviations soient créés afin que toute la région soit correctement irriguée. Le peuple approuva totalement cette décision, et se mit au travail avec enthousiasme. Un vaste chantier fut élaboré par les plus grands architectes du pays, le Comte étant toujours aveuglé par son envie féroce. Des moulins à eau naquirent sur les berges, des canaux furent creusés dans toute la région, des arbres et autres végétations furent plantés de toute part, un barrage et une déviation furent aménagés pour le transport et le commerce. Les animaux fuirent la région qui devint bien trop artificielle. La création de nombreuses usines qui aspiraient l’eau abusivement pour recracher d’épaisses fumées noires les effraya. Les loutres allèrent nager plus loin, suivies des poissons. Les oiseaux migrèrent plus au Sud et les enfants tombèrent malades à cause des baignades dans l’eau souillée. Je fus très choqué par toutes les catastrophes que le Comte faisait subir à ses terres. L’écologie fut toute chamboulée, des chaînes alimentaires furent brisées. L’industrialisation massive de la région ainsi que l’agriculture plus qu’intensive, l’abattage des arbres de la forêt et la création de centaines de foyers aisément inondables me paraissaient être des abominations. Pourtant je ne pouvais m’en occuper. Je n’en avais pas la force. Une douleur très violente s’emparait de moi et mon seul remède était de contempler Marie. Ce petit être débordait de vie. Elle s’exprimait d’une voix fluide et ses paroles coulaient en flots continus. Sa fraîcheur naturelle et sa joie de vivre m’éclaboussaient de bonheur. Sa démarche souple et légère parcourait le château aussi vite qu’un jeune torrent plein de vigueur. Elle apprenait à une vitesse folle tous ses cours et devait sans cesse filtrer le flot de ses pensées. Un véritable torrent des montagnes difficilement contrôlable. Il lui arrivait de dire tout haut ce qu’elle se devait de penser tout bas, et je souriais.

Un soir qu’elle montait se coucher, j’essayai d’attirer son attention. Je devins eau et mon ruissellement imita le son d’une voix :
- « Marie, il faut que tu convainques ton père de cesser ses agissements. Ils vont beaucoup trop loin. Il n’est pas aussi maître de la situation qu’il le pense. »
- Pardon ? s’exclama-t-elle, surprise. Qui donc me parle ? Voyons montrez-vous ! Où êtes vous caché ? »
Mais il n’y avait personne d’autre à part elle et moi. Et comme elle ne pouvait me voir, je m’agrippai à la rampe et la rendit humide. Elle posa sa main dessus, avant de la retirer avec un hoquet de surprise. J’entrai dans sa chambre, suant et répandant une odeur désagréable d’algues et de sel qui lui emplit les narines. L’humidité ambiante la fit frissonner. Ses draps étaient quasiment mouillés. Je devins un nuage translucide qui troubla assez sa vue pour que la peinture à huile des murs semblât couler sur le sol. Je décidai d’aller l’empêcher d’allumer la cheminée et me métamorphosai en flaque d’eau glacée. Elle cria lorsqu’elle y mit le pied et regarda au sol. J’étais déjà vapeur et rendit impossible cependant l’allumage d’un feu, le bois gonflé par mon humidité. La jeune fille se laissa tomber sur son lit et je m’endormis cette nuit-là dans le verre d’eau qu’une servante apporta, abattu et déçu, car je n’avais toujours pas réussi à prévenir Marie.

J’étais sur un bateau. Le Comte jouait sur le ponton. Il riait, des loutres sautillaient près de lui. J’essayais de le mettre en garde du danger de la situation vu que la pluie qui tombait devenait de plus en plus forte, le sol de plus en plus glissant. Le fleuve sur lequel le bateau naviguait était le même que celui que le Comte tentait d’assécher pour trouver la fameuse Larme. Une des loutres sauta par dessus bord :
-  Attends-moi ! cria le noble, dément, en ricanant. J’arrive, petite loutre !
- Comte ! hurlai-je, restez-là pauvre fou !
- Non cher ami, les loutres savent aussi bien nager que moi !
  Il éclata du même rire cristallin que sa fille avant de sauter. Je criai puis me jetai dans les tourbillons de l’eau boueuse du fleuve. Celui-ci m’aspira dans ses profondeurs. Les courants marins me firent perdre le contrôle de moi-même :
- Tue celui qui me draine ! gronda la voix du monstre d’eau, ou la goutte manquante me rejoindra à jamais !
- Pitié ! tentai-je d’articuler, à moitié noyé.
- Tu n’as plus beaucoup de temps ».
Je me réveillai en sursaut. Le verre dans lequel je dormais tomba et vint se fracasser au sol. Marie bougea dans son sommeil mais ne se réveilla pas. Il fallait que le Comte arrête son plan. Seule sa fille pourrait l’en convaincre et je me devais encore une fois d’attirer son attention. J’ouvris tous les robinets de sa salle de bain, sa baignoire débordant tout comme le lavabo, bouchés par du sable et des plantes aquatiques. Choquée par la vision de tout ceci, à son réveil, Marie ne fit pas attention à ce que je tentai de lui murmurer. Rapidement, elle déboucha les éviers, afin que l’eau puisse s’évacuer et elle aéra la pièce. Dehors, le bruit d’une foule en délire m’intrigua, et je tourbillonnai jusqu’à elle. Le Comte se tenait sur une estrade en face de tous ses ouvriers. Ils arboraient tous leur plus beau costume. Les femmes s’enthousiasmaient dans leur robe du dimanche et les plus petits couraient entre leurs jambes en riant.

Le Comte haranguait les villageois sur le travail accompli. D’ici à quelques heures, le cœur du fleuve serait à sec, et ils trouveraient alors la Larme de Saphir qui permettrait à leur ville de devenir la plus riche de tout le pays. Des cris de joie éclatèrent et tous applaudirent chaleureusement. Les pauvres. Ils devaient tous penser que leur chef investirait cet argent pour eux, pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Tandis que je pensais à tout cela, un grand froid m’envahit et je devins un glaçon qui glissa à une vitesse fulgurante jusqu’à l’entrée du château. Je finis ma course dans la salle à manger où je retrouvai Marie qui ne semblait pas avoir conscience de l’avancement dangereux des choses. Au déjeuner, je lui chuchotai :
- Ton père va payer pour ce qu’il a fait. Il a défié le Fleuve. Il a cru qu’il l’avait vaincu. Il a cru qu’il était le maître. Il a cru que Dame Nature s’était pliée devant sa grandeur. Il a cru qu’il pourrait puiser la force du fleuve pour parvenir à ses fins. Le pauvre fou. Il faudra que tu me fasses confiance, le moment venu.
Pour la première fois, Marie ne sursauta pas, et comprit. Elle hocha la tête, et s’évanouit dans l’escalier qui menait à la cave.

Le crépuscule vint, et embrasa le ciel de couleurs flamboyantes. Puis le temps se couvrit, et la pluie arriva. L’eau tomba en trombes, les éclairs déchirèrent le ciel, le zébrant tel un système nerveux lumineux. Agacé par les caprices du temps, le Comte se décida à aller voir sa fille. Etonné qu’elle ne fût pas dans sa chambre, il tomba sur un petit mot écrit à l’encre délicatement posé sur le bureau :
- « Je suis allée voir le fleuve. Il agonise. Viens si tu veux. Bisous. Marie ».
Il sortit précipitamment du château. Les orages déchiraient le ciel et le tonnerre grondait lourdement. Le vent soufflait par violentes rafales sur le paysage. Tous les affluents du fleuve grossissaient à vue d’œil. Tous les canaux débordaient. Les barrages menaçaient de céder. Il courait et cherchait désespérément Marie. Il finit par la voir. Seule, au cœur du fleuve asséché. Il courut vers elle, mais pas assez vite. Le vent l’enveloppa et le contraignit à reculer. Quand soudain la digue céda, et une immense vague déferla. Marie se dressa fière et haute devant ce monstre, avant d’être happée par lui, et engloutie à tout jamais. Il poussa un hurlement démentiel avant de tomber à genoux. Pluie, je lui dis :
- Voilà ce dont un cœur asséché est capable.
Le visage du Comte se décomposa, et alors toute sa haine, son épuisement, son amour, sortirent en une larme qui roula sur sa joue et tomba au sol. Un tintement résonna alors dans l’air, le perçant avec force. L’homme pencha la tête, et ce qu’il vit entre ses deux bottes boueuses lui parut effroyablement splendide. Un saphir luisait de mille feux et cette petite merveille avait la forme d’une larme.

J’ouvre brusquement les yeux. Ma femme est là. Elle tient un livre dans ses mains. Son visage s’illumine et elle m’agrippe soudain, les larmes ruisselant sur ses joues. Je sens à nouveau mes jambes, mes bras. J’entends sa voix, sa douce voix. Mes yeux se posent sur la table de chevet. Un livre est posé : « Une histoire d’eau, de Marie Le Comte ». Le doux ronronnement de l’encéphalogramme résonne dans la chambre d’hôpital.


2ème prix Juniors : "BAIGNADE" de Anaïs Armandy

Le soleil avait choisi le bas de mon ventre pour se poser. Il le chauffait agréablement, contrastant ainsi avec la fraîcheur du fleuve. Je fermais les yeux, heureuse de voguer tranquillement. Le courant était lent, il se déplaçait aussi paisiblement qu’un vieillard fatigué. Je me sentais étrangement calme, mon corps reposant sur l’eau, exposé aux éléments, les membres écartés, je tentais, en vain, de reproduire la forme d’une étoile. Je sentais le fleuve me caresser, m’envelopper, me bercer comme un vieil ami que l’on aime retrouver. Je me sentais infiniment bien. Je décidai d’ouvrir les yeux. J’aperçus alors le ciel bleu et clair, dominant de toute sa puissance la terre et ses habitants. Je me sentais minuscule, pas plus grande qu’un vulgaire insecte. Je fus troublée par cette vision du monde, et préférai retourner à des pensées moins déprimantes, plus paisibles. Je refermai les yeux.

Mon cœur battait à l’unisson avec celui du fleuve, calme et lent…si lent. Ce fleuve qui avait bordé mon enfance et accompagné mon adolescence. Si majestueux la journée, si beau la nuit. Tous ceux qui l’ont approché, donneraient tout pour y retourner. Ses abords étaient calmes, aucun rocher saillant, aucun monstre pour vous effrayer. Les plages étaient larges, agréables, personne ne vous y dérangeait. L’eau et le soleil dessinaient un large sourire sur mon visage. Je ne me rappelais plus exactement comment j’étais arrivée là, mais peu importe. J’avais toujours cette impression lorsque que je me baignais. Il semblait que je ne portais pas de vêtements, mais là aussi, qu’importe. Le Fleuve me conduisait, je ne sais où, mais je savais que ma destination finale serait un endroit parfait. J’ouvris un œil et aperçu un oiseau aux couleurs de l’arc en ciel voleter au dessus de ma tête. A mon grand désespoir, après quelques secondes, il disparut. Déçue, je refermai les paupières.

Je laissai alors mon bras gauche couler dans l’eau, je voulais sentir la fraîcheur, effleurer le fond du lit. Le changement de température me fit frissonner. Je caressai les petits galets, les petites algues, parfois un petit poisson se frayait un chemin entre mes doigts déposant un sourire sur mes lèvres. Je sentais l’eau s’infiltrer dans mon corps à travers les pores de ma peau, me refroidissant complètement. Ou peut être était-ce autre chose qui me faisait trembler ? Je ne savais plus, l’eau me lavait de toutes pensées, de toutes émotions, je me perdais.

Je ramenai mon bras à la surface, je voulais maintenant sentir les gouttes d’eau ruisseler sur mon bras, fugueuses impatientes. Je voulus me retourner pour sentir le fleuve sur mon visage, je voulais le sentir et le respirer. Je fis basculer mon corps sur la droite. Lentement. Une douleur insupportable me déchira les entrailles. Je hurlai. Je me débâtis dans l’eau, furieuse, apeurée, désorientée. Ma gesticulation n’arrêta pas la douleur, mais l’intensifia, tellement que j’arrêtai de respirer. Je dus me clamer, car la douleur devint moins intense. Je parvins enfin à reprendre mon souffle et à me remettre sur le dos. Comment n’avais-je pas coulé ? C’était un mystère. J’avais gardé les yeux fermés. Comment était-ce possible ? Je ne rappelais pas avoir été blessée. Ma mémoire semblait être défaillante. La tranquillité qui m’avait habitée avait disparu, laissant place à une panique à peine contrôlable. Que s’était-il passé ? La quiétude du fleuve alliée au choc de douleur que j’avais reçu me plongea dans un état proche de celui d’un comateux.

C’est à demi inconsciente que je sentis un flot de liquide plus dense, étranger au fleuve, flotter autour de moi. J’ouvris les yeux et vis mon corps nu et souillé d’un liquide visqueux et rougeâtre. Je savais ce que c’était, j’en avais vu de si nombreuses fois. C’est là que je l’aperçus, immense zébrure qui me torturait. Cette blessure, béante qui barrait mon abdomen. Et je me souvins ; les cris, les pleurs, le fracas métallique des armes, le sang, la peur, la blessure. Mortelle. Puis la chute, une longue et interminable chute. Terrible. Je paniquai alors. « Will ! » hurlai-je en me débattant contre une force invisible, ce qui déclencha une nouvelle vague de douleur. Je tentai de me calmer, en vain. Je pleurais, et toutes les larmes de mon corps se déversaient dans le fleuve, se mêlaient à lui, nous unissaient. Will, où était-il !. Mort ? Peu importait, moi j’allais l’être. Etrangement, je n’étais pas effrayée. J’étais rassurée, ne pas mourir vieille et édentée avait été mon rêve le plus fou. Je souris, apaisée. Je ne laissais personne derrière moi. Will était mort, j’en étais certaine.

Je refermai alors les yeux, je sentais mon corps partir, suivre le cours du fleuve et ses méandres. Puis la fin,  je n’entendis plus le cours de l’eau, ni ne sentis la chaleur du soleil, juste le silence. Profond. Tout allait bien. Enfin.

Mon corps ne fut jamais retrouvé, personne ne l’a jamais cherché. Peut- être a-t-il dérivé ? Peut être a-t-il été happé par le courant ? Personne ne le sait. Quant à mon esprit…si vous lisez ceci, c’est que vous l’avez trouvé.




Prix spécial d'encouragement : "LA LEGENDE DU TAA" de Marine Secchi

Cette légende commence dans un immense volcan d'où un fleuve, le Taa, prend sa source, le tout entouré de désert. En réalité, contrairement à ce que l'on pense car on a déjà vu du feu en sortir, ce n'est pas un volcan. Mais alors pourquoi en sort-il du feu ? La réponse est simple : il est habité par un peuple qui vit heureux grâce au fleuve et qui n'a pas envie d'être ennuyé par des envahisseurs. Dans la vallée, à l'intérieur du volcan, les jours s'écoulent paisiblement avec de temps en temps des fêtes en hommage à Taan, la déesse du fleuve : dans une région aussi désertique, un fleuve est un cadeau des dieux. C'est ainsi que tout commença, lors d'une de ces fêtes au cours desquelles on avait pour coutume de jeter dans le fleuve des rouleaux sur lesquels étaient inscrits des poèmes de remerciements à Taan.

Généralement les rouleaux se désintégraient, mais cette fois-ci le pirate Jones Broken et sa bande en repêchèrent un. Lorsqu’ils lurent: «Chaque jour je te remercie de voir notre trésor scintillant couler à flot», il n'en fallut pas plus pour qu'ils se préparent à une chasse au trésor.

Lorsque la dernière lumière du village fut éteinte, deux ombres furtives poussèrent une barque à l'eau. Ces deux ombres appartiennent à Kiriou, le fils du roi Alaqué, et à Taaki, une enfant trouvée fascinée par le fleuve, d'où son nom « fille de Taa ». Les jeunes amoureux fuient par le fleuve car Alaqué a refusé leur mariage sous prétexte que Kiriou était un prince et elle une simple paysanne.

Malheureusement pour eux, par une simple coïncidence, la bande de pirates de Jones Broken avait réussi après de nombreux calculs à déterminer d'où provenait le rouleau, et se trouvait au même endroit lorsque Kiriou et Taaki sortirent du volcan grâce au fleuve. Ils les firent prisonniers. Les pirates devinèrent qu'ils étaient de ce peuple mystérieux qu'ils recherchaient. Le lendemain, Kiriou et Taaki subirent un interrogatoire. Les seuls renseignements que les pirates obtinrent, fut que Kiriou était le fils du roi et donc un otage important et qu'ils venaient bien du volcan. Comme au bout de trois jours les otages n'étaient toujours pas décidés à les conduire à leur roi, les pirates tentèrent une expédition dans la grotte d'où sortait le fleuve.

Cette expédition allait se révéler être un véritable fiasco. Lorsque les pirates revinrent, ils étaient morts de peur : il y avait dans la grotte un monstre qui dormait et dont la respiration puissante avait renversé le bateau. Alors que Jones s'arrachait les cheveux, Kiriou et Taaki souriaient.

Non loin de là, à l'intérieur du volcan, les journées s'écoulaient normalement. Les villageois pensaient que Kiriou et Taaki reviendraient vite de cette escapade et personne ne s'inquiétait vraiment. Tous étaient à mille lieux de se douter de ce qui se tramait.

Dans le campement des pirates, tout était calme quand Kiriou et Taaki sortirent de leur tente. Tout se passait selon leur plan d'évasion et allait pour le mieux jusqu'au moment où Kiriou trébucha sur un pirate. Celui-ci réveillé s'apprêtait à donner l'alerte quand Taaki l'assomma. Mais déjà d'autres pirates réveillés par les bruits arrivaient. Kiriou avait beau se battre comme un lion, ils étaient trop nombreux. Il cria alors à Taaki de s'enfuir et de ne pas s'occuper de lui. Et Taaki, le cœur lourd, s'enfuit.

Lorsque les pirates parvinrent enfin à ligoter Kiriou, Jones était furieux. Juste avant de s'évanouir, Kiriou pensa à Taaki et un sourire naquit sur ses lèvres. Il avait réussi, elle avait pu s'enfuir.

Pendant ce temps, Taaki, épuisée, arrivait aux portes du village. Mais là, une déception immense l'attendait : le roi Alaqué ne la crut pas et ne voulut pas l'aider à repousser les pirates. Alors elle rentra chez elle et réfléchit au meilleur moyen d'arrêter Jones seule. Après s'être reposée, Taaki grimpa au sommet du volcan pour observer le campement des pirates.

Kiriou quant à lui espérait que Taaki aurait eu le temps de prévenir son père car plus aucune excuse ne pouvait stopper Jones qui était plus déterminé que jamais à pénétrer dans la grotte. Alors que les pirates mettaient le bateau à l'eau, Kiriou crut apercevoir la silhouette de Taaki, en haut du volcan.

En effet, Taaki, les voyant mettre les bateaux à l'eau, s'apprêtait à redescendre à l'entrée de la grotte pour les attendre. Et c'est ainsi que débuta une longue attente.

Lorsqu'enfin Jones et sa bande arrivèrent, ils furent émerveillés. Kiriou essaya d'en profiter pour s'enfuir mais Jones retrouvant vite ses réflexes, le rattrapa et posa son sabre sur sa gorge. Des paysans armés de fourches approchaient. Jones les menaça de tuer le prince Kiriou s’ils ne lui montraient pas le trésor. Taaki avait beau lui expliquer que leur seul trésor était le fleuve, Jones ne voulait pas la croire. A bout de patience celui-ci allait décapiter Kiriou lorsque...: «NON !». La foule retint son souffle. Taaki avait crié. Jones éclata d'un rire bruyant qui s'arrêta net quand son sabre s'envola de ses mains pour atterrir dans celles de Taaki. Mais la surprise fut à son comble au moment où Taan, la déesse, sortit du fleuve et murmura :

:- «Je suis fière de toi, ma fille».

Toute la foule avait reconnu la déesse mais elle était encore ébahie par l'apparition et la révélation. Kiriou profita de l'étonnement de Jones pour rouler hors de sa portée. Après avoir prononcé ces paroles, Taan se tourna vers Jones. Le pauvre n'avait aucune chance face à elle. Il s'en rendit compte et tomba à genoux en la suppliant de le pardonner. Taan décida de leur effacer la mémoire avec l'aide de Taaki. Puis ce travail terminé, elle se tourna vers le roi Alaqué et dit :

- «Toi qui refusa le mariage de ton fils et de ma fille sous prétexte qu'elle était paysanne, tu redeviendras paysan et ton nom sera effacé des mémoires ».

Kiriou prit alors la parole:

- «Je plaide pour que mon père ne soit pas complètement oublié et pour qu'il ne redevienne pas paysan. Je suis sûr que Taaki lui pardonnerait aussi».

C'est ainsi que Kiriou put monter sur le trône et épouser Taaki que l'on appelait désormais Taanaki ce qui signifie fille de Taan. Un soir, du haut de la fenêtre de sa chambre, Kiriou observa Taaki assise sur un rocher à contempler le fleuve. Elle était magnifique dans le soleil couchant, ses cheveux couleur de jais flottant sous la brise légère.

Soudain, Taan apparut. Elle sortit du fleuve et vint s'assoir au coté de Taaki. - «Je voudrais que tu saches, commença Taan, que pendant toutes ces années ou tu t'es cru orpheline je veillais sur toi». Taaki sourit. Taan rentrait dans le fleuve quand Taaki la rappela :

- «Maman ?»,
- «Oui, Taaki ?»,
- «Je t'aime! »,
- «Moi aussi, meilleurs vœux de bonheur pour Kiriou et toi ! »répondit Taan en disparaissant dans les eaux sombres du fleuve.

Quelques mois plus tard, Taaki et Kiriou se marièrent. A la fin de la cérémonie, la foule cria :

- «Longue vie à Kiriou et Taanaki !».

Puis Kiriou prit Taaki dans ses bras, la jeta dans le fleuve, et comme le veut la coutume, il plongea à l'eau et la sauva. Lorsqu'ils sortirent de l'eau, une sorte de feu d'artifice explosa. Mais tous ces jets étaient en fait de l'eau : c'était une surprise de la déesse !

Quelque part dans la foule, un poète du nom de Roken, ce qui signifie gentil, s'apprête à jeter un rouleau dans le fleuve. Il s'agit de l'ancien capitaine Jones. Sur ce rouleau est écrit un poème de remerciements à Taan semblable à celui qui déclencha cette aventure.

Ils vécurent heureux et ne furent jamais découverts, c'est ainsi que se termine la légende du Taa, ce fleuve imaginaire.