Concours de nouvelles 2011

Catégorie Juniors

 

2ème prix : "Je veux vivre" de Marine SECCHI

« Grand-mère, raconte nous encore une fois. »

- Tout cela au début n'était qu'une prophétie. On se moquait des magiciens, des scientifiques et des écologistes, qui prédisaient une catastrophe, si on continuait à surexploiter la planète et à s’entretuer pour ses richesses. On disait que leurs théories étaient fumeuses, irréalistes, de vrais châteaux en Espagne.
- Quelle jolie expression ! Mais pourquoi ne les prenait-on pas au sérieux ?
- Chut ne me coupe pas, Océane, oui quelle jolie expression pour dire que cela est impossible. Mais ils avaient tort. Cela n'était pas impossible. Rien n'est impossible pour Mère Nature. Malgré ses avertissements, les hommes n'ont pas arrêté, ils ont continué à se battre pour des frontières.
Alors Mère Nature en a eu assez et elle a réagi. Elle s'est vengée. Une nuit comme celle-là, une nuit de juin car autrefois chaque jour avait un nom et un chiffre, je disais donc...
- Le mardi 22 juin…
- Chut ne m'interrompt pas Alyss. Il y a eu un flash très fort et très brillant et trois immenses étoiles ont illuminé le ciel, puis elles se sont mises à tomber et ont foncé sur la planète Terre. Et chaque étoile a aspiré des objets et des gens puis elle s'est mise à gonfler, gonfler, gonfler et elle a explosé et il n’est resté qu’une bulle transparente mais très dure. Chaque étoile en éclatant a déposé de la poussière sur le sol et sur les plantes. Aussitôt les plantes se sont mises à grandir et à coloniser la terre. Et c'est ainsi que …
... la nature a repris ses droits.

- Mais qu'est ce qu'ils sont devenus les autres gens. Allez dis-le nous Grand-mère, s'ilteuplait !
- Et bien on raconte qu’une des étoiles a aspiré tous les objets inutiles de technologie et qu’une fois devenue énorme elle a explosé. Et comme il n’y avait pas de dioxygène dans cette bulle-là, mais seulement du feu, tout a brûlé et on dit même qu'elle brûle encore. Quant à la troisième bulle, elle a aspiré beaucoup de gens, tous ceux qui avaient été méchants avec Mère Nature, tous ceux qui étaient mauvais. Et elle aussi elle s'est mise à gonfler, gonfler, gonfler et puis elle aussi a explosé, car là aussi à l'intérieur il n'y avait pas de dioxygène ...
- Mais il y avait de l'eau.
- Oui en effet, et cette eau a gelé. Enfermant à jamais tous ceux qui avaient été ennemis de la paix, des hommes et de Mère Nature. Parfois, lors de belles nuits d'été, on peut apercevoir dans le ciel deux bulles, une rouge comme le feu et une autre blanche comme la glace.
- Là !
- Non Océane, ce que tu as pointé du doigt c'était un dompteur qui se promenait avec son tigre mais regarde plutôt là-bas.
- Ah oui !
- C'est bon ? Vous les voyez ? Alors faites un vœu.
- Mon vœu c'est de devenir dompteuse et d'avoir mon propre tigre comme toi. - Moi aussi !
- C'est un beau vœu, mais tu ne dois pas dire ton vœu sinon il ne se réalisera peut-être pas.
- Ah bon ? Sniff ! Mais on l'a pas fait exprès !
- Ne t'inquiète pas, avec moi vous pouvez tout dire, ça ne compte pas.  »

C'est ainsi que s'est déroulée mon enfance, bercée par ces histoires, puis mon adolescence précoce et rebelle pendant laquelle ma Grand-mère ne m'a jamais abandonnée : elle a toujours été là pour moi, pour le meilleur et pour le pire. Pendant longtemps, j'ai été la plus heureuse des fillettes, avant que je ne devienne ce que je suis : une apprentie dompteuse- et que j’apprenne la vérité.

Mais reprenons mon histoire du début, voilà ce dont je suis sûre, les éléments qui ne changeront jamais.
Je m'appelle Océane Stella-Bulla1. Ici Stella-Bulla1 est un nom courant, très courant, en fait tout le monde s'appelle comme ça. Et dans quelques jours j'aurai 14 ans. Ça aussi je sais que c'est vrai car lorsque je saigne et qu'une goutte de sang tombe par terre, alors elle se met à faire des cercles comme au cœur des arbres et si l’on compte le nombre de cercles on peut vérifier quel âge on a, de la même façon que pour un sycomore.
Ah une dernière chose dont je suis certaine : je vis dans le monde 1, plus précisément dans la bulle issue de l'Étoile 1. Depuis que la planète bleue s'est séparée en trois mondes parallèles après la « Révolution cosmique humaine magique et naturelle », le monde 1 est redevenu sauvage, complètement sauvage. La nature a repris ses droits, la technologie a disparu, et il a fallu réapprendre à vivre, à chasser, à faire des maisons en bois, à se soigner grâce aux plantes. Seuls ont survécu ceux qui ont su s'adapter et qui ont réappris à écouter le langage de la nature. Je suis née pendant cette période. D'autres garderont de mauvais souvenirs de la « décennie d'adaptation » mais moi non, mes plus beaux souvenirs y sont attachés car à cette époque j’ai vécu avec Grand-mère et Alyss, qui ont été et resteront toujours mes idoles, car elles m’ont appris tout ce que je sais.

A sept ans donc, je suis devenue une apprentie dompteuse grâce à ma Grand-mère, et j’ai fait la connaissance d’Alyss durant cet apprentissage.

J'étais une enfant assez réservée, je n'avais pas d'ennemi, j'étais l'amie de tous, soit l'amie de personne. Enfin … jusqu’au jour où j’ai rencontré Alyss qui est devenue ma meilleure amie. Elle avait deux ans de plus que moi. Ensemble nous avons fait un nombre incalculable de bêtises, nous adorions partir à la découverte de notre monde sauvage. Ce qui nous rapprochait le plus, c'était notre rêve commun : devenir dompteuse. Et puis un jour, elle est partie pour la Quête, mais elle n'est jamais revenue. Cela a marqué la fin de mon enfance, me montrant comme la vie pouvait être cruelle. Je n'ai pourtant jamais désespéré et cela a renforcé ma détermination à devenir dompteuse. Je pensai que le seul moyen qu'il me restait pour la retrouver était de demander aux tigres : peut-être l'avaient-ils vue, peut-être savaient-ils où elle était. En tous cas, on pouvait toujours compter sur leur flair pour remonter sa piste même dans un autre univers.
Après cette séparation, je suis devenue une préadolescente rebelle. Je me souviens encore des nombreuses heures passées seule dans la forêt, des fugues, des disputes, des bagarres, des larmes : plus solitaire que jamais.

Les années ont passé. J'ai maintenant quatorze ans, j'arrive à la fin de ma formation, ma Grand-Mère vient de me l'annoncer officiellement. Dans quelques minutes, je partirai pour la Quête, je trouverai mon tigre, j'apprendrai à le comprendre, je le suivrai, je partagerai son quotidien... A la fin je le dompterai ou plutôt j'entrerai dans son esprit avec son accord, après avoir trouvé les mots justes. Car il me faudra lui poser La question. Ce sera périlleux, je pourrais y laisser la vie. Ainsi, si je me trompe de tigre, ou que je ne lui demande pas au bon moment ou que je n'utilise pas les bons arguments, je disparaîtrai, et le bel avenir imaginé par ma grand-mère fantasque s’écroulera tel un château de sable. Mais je réussirai, et réaliserai la destinée qu’elle m’a promise.
Et mon tigre deviendra mon âme sœur pour toujours. Il me transportera toujours avec lui et dès lors je serai admise dans la Troupe du village et Grand-mère sera fière de moi car ce sera sa victoire aussi, puisque c'est elle qui m'a tout insufflé.
Toi, lecteur je sais que tu envies ma vie. A tes yeux je suis un personnage libre, qui affronte des épreuves passionnantes dans un monde naturel et sauvage. Mais tu te trompes ! Tu es étonné, pourquoi est-ce que je te parle ainsi ? Les questions se bousculent dans ta tête.
Comment se fait-il que je puisse t’interroger ? D’où vient mon pouvoir de te parler, d'être différente des autres personnages, de penser par moi même ? Cela t’intrigue non ?
C'est avant tout grâce à l'imagination débordante de ma grand-mère, du caractère bien trempé dont elle m’a doté qui me permet de t’aborder sans ambages, mais également de l’imprécision dans laquelle elle m’a laissée sur la suite, ma destinée.

Ce don de parole est un cadeau empoisonné car quand bien même je suis libre de penser, de comprendre, de te parler, je ne peux agir à ma guise, je suis impuissante, enchaînée au déroulement de cette histoire. Beaucoup croient que notre destinée est déjà écrite, de notre naissance à notre mort. Dans mon cas c'est la pure vérité.
C'est très bizarre car à la fois je sais tout ce qui va se passer, à la fois je suis consciente de tout et à la fois... je suis surprise lorsque cela se produit.

Mais je m'écarte, il fallait que je t'explique ce que je ressens et d’où viens mon mal être. J'espère que je ne t'ennuie pas, dis ? Ma génitrice m'a trouvé dans un lac intérieur, ce lac est tout pour moi. C'est ma vie, il est composé de mon futur, de mon passé, de tout ce que j'aime, de tout ce que je connais, sur moi, sur le monde et les autres, de tout ce que je ne sais pas encore, de ce que je suis, de tous les mots, adjectifs, verbes, noms qui me représentent, qui me qualifient. Ce lac sait tout de moi, ce que j'aurais pu être, ce que je serais peut-être.
Je peux respirer sous ce lac et dormir. Lorsque je dors dedans, je m'enfonce dans une sorte de coma, mon esprit part loin de mon corps, il part alors dans ses pensées, dans ses pensées à elle. Et alors j'assiste impuissante à l'écriture de mon histoire, aux hypothétiques aventures qui vont m'arriver, aux diverses façons dont tout cela peut se terminer. J'essaie de plaider en ma faveur, je sais qu'elle ne m'entend pas mais j'essaie quand même, j'essaie de forcer son subconscient à changer d'avis - non cette fin n'est pas assez bonne ! - je réussis parfois à la faire inconsciemment changer d'avis - non Alyss ne peut pas mourir maintenant ! - je l'influence de toute mes forces mais souvent j'échoue et je perds un être cher. Je ne choisis jamais les moments où je retourne dans ce lac, « hiberner ». C'est encore elle qui décide, c'est quand ça l'arrange, qu'elle a une panne d'inspiration ou bien qu'elle part en vacances. Et j'attends avec angoisse qu'elle trouve une suite à mon histoire, que le temps reprenne son cours pour que je continue à vivre. Longtemps, pendant ces périodes de coma, j'ai lutté de toutes mes forces, pour qu'elle ne m'abandonne pas, pour qu'elle continue à m'aimer et qu'elle ne me tue pas sur un coup de tête afin que je réussisse à devenir une dompteuse.

Mais j’ai compris qu’en me créant héroïne, elle m'avait tracé la plus sûre des morts, une mort inévitable, car tout histoire héroïque a une fin.
Pourtant je ne suis pas prête à accepter ma disparition inévitablement prévue par mon auteur. Je continuerai à vivre tant que tu me liras, toi lecteur. J'existerai dans ton esprit, si tu te rappelles de moi et que tu ne m'oublies pas. Non, ne me regarde pas, saute ces quelques lignes. Je pleure, ce sont des larmes d'impuissance et de rage, mais tu ne dois pas les voir. J'ai encore tout raté, je n'ai pas pu me retenir, j'ai éclaté en sanglots. Comme à chaque fois. Je n'y arrive jamais, et dire que j'espérais que cette fois-ci j'avais trouvé quelqu'un, quelqu'un de compréhensif et surtout quelqu'un qui puisse m'aider.

Vois-tu, mon destin est entre tes mains, j'ai fait de mon mieux pour être une héroïne passionnante et exemplaire, mais je ne peux plus rien faire, je n'ai plus rien à dire pour ma défense, à part avoir peur, il ne me reste plus qu'à espérer en toi. Je sais bien que ma vie est un château en Espagne, mais laisse-moi y croire encore, croire encore à cette vie éternelle de gloire. Mais maintenant toi seul peux décider de me faire connaître, de me faire gagner, de me faire publier, exister.
Je suis désolée, je te demande de ne pas m'oublier mais dans quelques minutes, ce sera moi qui t'aurai oublié, oublié sans vraiment t'oublier, quand tu m’auras reposée. Je sais c'est étrange, même moi je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Mais promets- moi, toi, de ne pas m'oublier.

Le trouver et l'approcher, lui parler.
« Cela fait des jours que je te cherche, que je dors à coté de toi, que je bois à ton ruisseau, que je chasse pour toi. Je veux que tu saches que j'ai confiance en toi, que je veux tout partager avec toi. Pourtant tu ne veux toujours pas te montrer, tu te caches encore ? Aurais- tu peur de moi ? Je sais que tu es là. Je te sens. J'entends ta démarche souple et fière, assez silencieuse pour n'importe qui d'autre que moi. Je sens tes yeux vert émeraude cerclés d’or se poser sur moi. Tu m'observes, tu guettes le moindre de mes mouvements. Je sais que tu me comprends. Je sais que tout comme moi tu es différent, que tu as envies de rugir et de m’engloutir. Trouver les bons arguments, ceux qui feront mouche dans son esprit.
Tout comme moi, tu as conscience de ce que tu es. Tout comme moi tu veux agir. Sauf que jusqu'à présent tu n'as rien pu faire, même si ce n'est pas faute d'avoir essayé par le passé. Mais maintenant tu ne peux plus vivre sans moi si tu ne veux pas sombrer dans l’ennui, dans la solitude.
Trouver les bons mots et les dire au bon moment.
Alors je te le demande : Acceptes-tu d'être mon compagnon pour l'éternité ou du moins jusqu'à la mort ?
Être sincère jusqu'au bout quoiqu'il arrive
Si je me suis trompée alors mange-moi, je ne peux plus tout supporter seule, autant mourir.

Et attendre la réponse aussi longtemps qu'il faudra. J'ai beau avoir été bien préparée, avoir vécu cette scène des millions de fois en rêve, mon cœur bat à cent à l'heure. Je retiens ma respiration. Je sais bien qu'il peut attendre des jours avant de répondre, je suis sûre qu'il a déjà choisi et que ce n'est qu'une question de seconde. Je suis fébrile, impatiente, et pourtant paralysée par la peur. Tout ne dépend plus que de lui, car lui seul peut faire de moi une dompteuse, que ma vie soit lue, racontée et diffusée et devienne réalité ou qu’elle disparaisse tel un château en Espagne.

- J'accepte » dit le Tigre. Et le lien se fit.

Merci de ton attention, car grâce à toi j’ai dompté ma destinée et j'espère que tu trouveras bientôt l'occasion de me rejoindre en me relisant.