Concours de nouvelles 2018

1er Prix catégorie "Juniors"

La vallée des vampires de Charlotte REBUFFAT

Pour fêter Halloween, j'avais envie de faire quelque chose d'encore plus spécial que d'habitude, d'encore plus spécial que d'aller demander des bonbons à mes voisins. Justement en me promenant en ville, j'ai remarqué une petite pancarte, cachée derrière une affiche électorale et une publicité pour des chaussettes. Le petit prospectus annonçait en grosses lettres : «La vallée des VAMPIRES». En dessous, il était écrit : « Êtes-vous prêts à être plongés en plein cauchemar, à descendre à mille pieds sous terre et à rencontrer des vampires assoiffés de sang sortis justement de leur cercueil pour l'occasion? Alors rendez-vous à vingt heures sur la place Verminck à Fuveau le 31 octobre.

Enchantée à l'idée de faire une attraction tout droit sortie d'un film d'horreur, j'arrache le prospectus en me disant que personne n'en aurait besoin et je cours direct chez ma meilleure amie Alice pour lui proposer de m'accompagner.

Nous arrivons essoufflées sur la place Verrninck comme prévu, pile à l'heure. Il n'y a personne aux alentours et aucune trace d'attraction.

- Ben tant pis, me dit Alice, l'air faussement déçu, il n'y a rien, on n'a qu'à rentrer.
- Pas question ! On va trouver, t'inquiètes.

J'ai réussi à obliger mon amie de m'accompagner, après maintes et maintes discussions et à force d'argumentation, et elle a accepté de venir, mais je sens bien qu'elle n'est pas tranquille.

Alice m'aide à chercher à contrecœur. Nous passons derrière le parking surélevé et apercevons enfin une petite tente noire collée contre un mur. Je m'élance dans cette direction, excitée et enthousiaste tandis que mon amie me suit, peu convaincue. J'entrouvre la tente et un homme habillé lui aussi en noir apparaît devant moi comme par magie.

- Vous êtes là pour l'attraction? me demande-t-il.

Il a une voix étrange, à la fois caverneuse et mielleuse. Son visage est pâle, presque vert et maladif.

- Exact, j'affirme en tendant le prospectus.
- Très bien, entrez, nous somme-t-il.

Je m'engouffre à l'intérieur, Alice à ma suite.

- Mesdemoiselles, vous allez être transportées dans un lieu où vous aurez des choix à faire si vous voulez rester en vie. Préparez-vous à vivre l'expérience la plus traumatisante de votre vie. A tout à l'heure, enfin, si vous ressortez vivantes d'ici, ricane-t-il. Placez-vous au centre de tapis.

J'obtempère, sûre de moi et Alice vient se placer à me côtés.

L'homme crie« Ad vitam aeternam» et tout tourne autour de moi, de plus en plus vite, j'entends mon amie crier à côté de moi et j'atterris dans le noir. Il y a de minuscules bougies à gauche et à droite de ce qui semble être un couloir. Je devrais m'émerveiller de cette téléportation, chercher à comprendre comment l'étrange homme a fait, mais je crois qu'Alice déteint sur moi; j'ai perdu mon assurance. Mon amie gémit justement à côté de moi et je suis sûre qu'elle est en train de se demander pourquoi elle a accepté de me suivre. Je décide de briser le silence :

- J'imagine qu'on doit continuer dans ce couloir, on n'a pas d'autre choix, non?

Nous avançons donc, prudemment dans le tunnel et je me mets à frissonner. Un souffle d'air provenant de je ne sais où me frôle la nuque.

Au bout de quelques minutes le chemin s'arrête enfin et nous arrivons devant trois portes. Comme l'avait prédit l'homme de la tente, nous sommes confrontées à trois choix. Sur le premier battant je lis Enfer, sur le deuxième Vampire et sur le troisième il y a écrit Paradis + mort de tous ceux que tu aimes.

- On fait quoi ? me questionne mon amie.
- Ben déjà pas Paradis parce qu'on risque de mourir toutes les deux étant donné que nous tenons l'une à l'autre, et j'ai moyennement envie de rencontrer Lucifer, le meilleur choix serait donc de prendre Vamp ...

Un cri guttural me coupe et je vois un homme habillé comme Dracula, avec de longues canines et un visage blanc arriver de nulle part et se jeter sur nous. Je crie à mon amie de courir et je précipite derrière la deuxième porte. Alice me rejoint une demi-seconde plus tard etje referme le battant au nez du vampire.

- Tu es sûre que c'était une bonne idée de venir ici ? me demande mon amie.

Je ne réponds pas et arrête de bouger, les yeux écarquillés. Je lâche enfin ce que nous pensons toutes les deux :

S'il y a écrit vampire, ça veut dire que nous allons encore en croiser plein !?

Je me laisse glisser par terre, incapable d'avancer, trop effrayée pour commettre le moindre geste. Soudain, quelqu'un éclate de rire. Désorientée, dans le noir le plus complet, il m'est impossible d'en déterminer l'origine.

- Ezekiel aime bien effrayer les nouveaux !
- Qu'est-ce qu'on fait ici?! j'éclate. Expliquez-nous !

Bienvenue chez les vampires, chères petites. L'homme qui vous a fait peur s'appelle Ezekiel et le vampire de la tente, celui qui vous a emmenées ici est notre grand Dracula. Nous sommes une communauté de vampires, et c'est ce grand personnage qui l'a fondée. Pour que vous vous intégriez bien chez nous, je dois abolir les stéréotypes qui nous qualifient. Oui, nous sommes éternels, oui trop de lumière nous tue - d'ailleurs quand on t'aura mordue tu y verras très bien dans le noir - et non, nous n'avons pas à nous nourrir, encore moins de sang - même si c'est délicieux-. Nous ne sommes pas si lugubres que ça, et nous adorons les blagues ! D'ailleurs, quel est le comble pour un vampire ?

Il doit voir mon visage interloqué et complètement ahuri dans l'obscurité car il répond en s'esclaffant :

- Se faire du mauvais sang ! (Voyant que ni Alice ni moi ne réagissons, il continue.) Ne vous inquiétez pas, les nouveaux sont toujours un peu anxieux. Une autre blague?
- Non merci, je proteste, et Alice et moi n'avons pas le moins du monde envie de rester ici, de devenir des vampires et de rester dans le noir, mornes pour l'éternité.
- Mais si ! Vous allez voir quand vous allez rencontrer les autres, il y a toujours une bonne ambiance. Et puis de toute manière vous n'avez pas le choix, on ne peut pas vous laisser repartir. D'ailleurs il faut qu'on vous trouve des prénoms plus vampiriques. Toi là-bas, tu t'appelles Alice, non? Je te propose de te rebaptiser Lilith, comme la première vampire ayant existé. Et toi, quel est ton nom ? m'interroge-t-il.

Je garde la bouche fermée, les bras croisés et l'air buté. Hors de question qu'on modifie mon nom. Et encore moins qu'on me métamorphose en vampire.

- Bon et bien tant pis, dit-il. J'imagine que Dracula sera plus persuasif que moi. Vous me suivez? Je vais vous faire visiter notre vallée souterraine. Ah, et n'essayez pas de partir en courant, je suis mille fois plus rapide que vous et vous risqueriez de passer un très mauvais quart d'heure.

Voyant qu'on refuse catégoriquement d'obtempérer, et qu'Alice est en larmes, il soupire puis nous dit tout bas :

- Bon je veux bien vous faire partir d'ici, mais il faut qu'on soit discret et que vous me juriez que vous ne raconterez cette histoire à personne. Dracula va encore me taper sur les doigts mais vous êtes, selon moi, trop jeunes et vous allez garder votre apparence d'adolescentes boutonneuses pour toute l'éternité si on vous transforme maintenant. Eh Lilith, calmes-toi, arrête de pleurer, tu me fais vraiment pitié ! Donc, je disais, vous allez devoir jurer que vous ne parlerez de notre monde à personne.

J'ai l'impression d'enfin pouvoir respirer et j'ai envie de me jeter dans les bras de ma meilleure amie. Par son comportement et ses pleurs elle vient quand même d'obtenir la grâce d'un vampire.

- Je le jure, sanglote-t-elle.
- Non, ce n'est pas aussi simple. Je ne pourrai pas être sûr que vous teniez votre parole.

Nous allons faire un serment de sang. Vous allez me laisser vous mordre le cou, puis vous allez réciter : croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer. Si vous trahissez votre engagement, vous serez immédiatement transportées devant les trois portes, et vous serez obligées de prendre celle qui mène aux enfers. Croyez-moi c'est pas cool là-bas !

Je déglutis. Nous faire mordre est le seul moyen d'échapper à ce terrible endroit, mais être croqué par un vampire n'est-il pas censé nous transformer à notre tour? Et si c'était justement une combine pour nous changer quand même en êtres paranormaux ? Je me ressaisis rapidement, car de toute évidence, me poser toutes ces questions ne m'avance à rien.

- Mordez-moi en premier, dis-je d'une voix que je veux assurée. Alice, si tu vois que je suis devenue un vampire, débrouille-toi pour t'évader.

- Ne vous inquiétez pas, je ne vous prendrai pas assez de sang pour vous métamorphoser en vampire, et pas assez non plus pour vous tuer. Dès que vous aurez prononcé le serment, vous serez libres, promet-il. Allons-y. Ah non attendez ! Une dernière petite blague ! Qu'est ce qui fait fuir les vampires quand on leur téléphone ?

Je lève les yeux au ciel, stupéfaite. Malgré le sérieux de la situation, ce vampire trouve quand même l'occasion de faire des blagues.

- On ne sait pas ! répond Alice, exaspérée.
- Un Ail Phone ! s'écrie-t-il.

Puis il éclate de rire sans pouvoir s'arrêter, durant d'interminables secondes qui me font l'effet d'être des heures. Puis il se calme enfin et je l'entends murmurer:« Allons-y».

Je le laisse approcher sans savoir où il se trouve précisément. Je sens brièvement son souffle sur ma peau et ses crocs s'enfoncer dans ma nuque. Je prononce rapidement le serment et le même tourbillon qu'à l'aller m'emporte.

Je m'affale par terre. Il fait encore nuit, il fait froid et le vent fouette mon visage. Je porte la main à mon cou et je constate qu'un fin liseré de sang descend vers mon tee-shirt. La tente a disparu. Je suis complètement perdue. Moi qui n'ai jamais cru au paranormal et au fantastique, j'ai discuté avec un vampire qui faisait des blagues ! Je comprends au moins pourquoi il a crié « ad vitam aeternam » pour nous faire partir. Cette expression latine fait référence à l'idée d'éternité, et les vampires ne meurent jamais. Mais pourquoi Dracula veut-il transformer tant de gens en vampires et pourquoi les cache-t-il autant? Veut-il créer une armée et dominer le monde? Se sentait-il juste seul? Je vois mon amie apparaître à côté de moi, toute tremblante. Toutes ces questions restent sans réponse, mais une chose est sûre : Je suis en vie.

A ma gauche, Alice se remet de ses émotions. Mon premier réflexe - je n'ai pas trop le sens des priorités, je sais - est de vérifier que mon IPhone tout neuf n'ait rien et n'ait subi aucun choc. Je le sors de ma poche et l'examine. Je jette un rapide coup d'œil au logo et ce que je vois m'ébahit. La pomme croquée habituelle d'IPhone a été remplacée par une gousse d'ail...