Concours de nouvelles 2020

2ème Prix catégorie "Adultes" Ex aequo

"Face de canard " de Laurence SOLDERMANN

L’agence intergalactique est heureuse de vous télé-satelliter vers la Planète Bleue Ozone. Vous venez de remporter un séjour gratuit d’une durée éclair dans l’ère primaire de la cosmogonite arithmétique ! » Je rêve ! Waowgnagnagna ! Pour une fois que je gagne à un jeu ! Ah Ah ! La chance m’accompagne enfin ! J’en avais marre d’errer dans ma galaxie, dans l’attente d’une prochaine fenêtre d’alunissage. L’espace est tellement encombré que les places sont chères. Ces foutus ratios d’occupation des planètes nous vouent à l’attente intersidérale des libérations cosmiques. Ce petit séjour terrestre gratuit tombe à pic tectonique ! Je donne un petit coup d’œil télescopique dans mon rétroviseur infrarouge au cadran spectral Olympus Spiritus. Ma planète Ferrus n’est plus qu’un pixel dans la voie lactamine. Mon vaisseau actionne le mode atterrissage. Ils sont bons à l’agence, je n’ai rien à faire, mon vaisseau est rerouté par prise de contrôle à distance. Mon programme s’affiche « Première étape : Escale préparatoire en vue de la Grande Cérémonie des titres suprêmes ». Ronflant, mais jubilatoire. Traversée de la couche atmosphérique, je me rapproche de ma destination et commande un petit remontant à ma Bibivouac préférée :

  • Bibivouac, j’ai bien envie d’un algominute-soucoupe.  

  • La solution est en cours de préparation. Soit patient comme l’étoile du Berger, Azuleros Lajoja, me répond l’élite des gynoïdes.

En attendant, j’amorce la descente vers le Buildingoneum 3 millions 556 Merylstreet à New York. J’approche du gratte-ciel, qui asphyxie les joues des nuages. Trajectoire calculée au nanomètre près. Lumière du jour verdâtre. Une couche de poussière calamiteuse flotte sur le dernier strate voxus popullulux. J’enchaîne les manipuluxions :

Vitrage électronique de la Tour de l’An Pirée Nem hihi activé.

Toit à zone H turgescent en vue.

Accueil du vaisseau d’Ânes à Mythes.

J’ingurgite d’un cube mon algominute-soucoupe, avant l’ouverture latérale de sûreté. J’ai touché terre.

Un souffle à picots sablonneux s’enfourne dans mon bec et fouette mon opercule visuel. J’arrive quand même à cerner le néon lumineux, qui m’indique la trajectoire à suivre. J’emmanche l’élégante rampe à tube phosphorescent et me retrouve devant l’entrée de la Clinicus du Nombre île Ulysse 31. Quelle irisante joyeuseté ! Une femme vêtue de bleu céleste m’ouvre ses portes. Elle a une tête de terrienne mais le corps longiforme des habitants de la planète Cyrus, pourvu d’une cape thermique de chiroptère.

  •  Bienvenue au royaume du plastique cosmique, me dit-elle, ouvrant ses ailes de papillon. Vous êtes notre Rendez-vous Alien 3 le retour termite pour une mise sur son 31.

Je constate que le building est très bien intégré dans son environnement, personne ne peut se douter de la doublure outrageuse de mes congénères, ni que le building abrite notre QG. Je donne mon coupon-supersonic pour ma prise en charge individuelle à l’hôtesse, qui s’évapore aussitôt et c’est un lit à suspension, harnaché d’acoustiques à Shiva, qui m’accueille. Je rentre en phase préparatoire de mise sur mon 31.

J’allonge mes quatre fers d’octopode à cellules roujaunes sur le lit. Je replie de justesse mes triceps de Mammalia, avant qu’une sangle automatique ne m’immobilise. Ma tête cosmona à piston est enserrée dans une sphère à l’étuvée. Je commence à voir trouble de mes cinq yeux à molette mais j’arrive quand même à apercevoir les praticiens terrestres. Mes premiers terriens de cellules et de veines !

« Je vais devoir transformer votre face de canard en un terrien digne de notre siècle ! » Je ne comprends pas tout ce qui se dit, mon traducteur automatique à clameur désarçonné n’intègre pas toujours les nuances de la langue adoptive. Les terriens m’appellent « Poulpo citron » ; « Casimir à bec de canard » ; « Calimero le Rubicon », ils me demandent si j’accepte toutes les conditions suspensives à l’ablation, la transformation, l’abandon du moi unique thermique. Je cligne de l’œil le plus à droite et fait un tour complet avec ma tête en signe d’acceptation du traitement que vont me prodiguer les cliniciens.

Une injection dans la narine gauche pour rétrécir ma boite crânienne et une pompe dans la narine droite pour siphonner le liquide cérébrospinal. Je les entends commenter « T’as vu la tête ! Pire qu’un ballon de baudruche » ; « jamais rien vu d’aussi énorme ! » « Une vraie chirurgie de tête réduite ! ». Mon ventre est liposucé à souhait et le buste garni d’épaulettes pour une carrure masculine calibrée dans les canons de l’air du temps. Découpage des membres supérieurs et inférieurs, pour qu’il n’en reste que deux de chaque. Je commence à prendre forme humaine. On me passe une pâte siliconée sur mes orifices pour créer un petit nez à bout rond et de grandes oreilles. Ma peau est blanchie par des pigments d’orchidées sauvages et une molécule d’albinos attaque la mélanine de ma peau orangée d’extraterrestre. Un fin duvet d’oie des neiges est implanté sur le sommet de mon crâne puis passé sous les lampes UV à accélérateur de particules pour une poussée du cheveu fulgurante. Il reste à aplanir ma « face de canard », comme ils disent, en deux lèvres fines et légèrement en relief. Et le tour est joué ! Je termine ma transformation dans le tube cryogénique de la chambre à claire-voie, où une programmation des données de langage et de culture contemporains s’active dans la sphère crânienne du candidat à l’humanoïde que je suis.

Le réveil se fait dans un pur état d’extase sidérale. L’agence tient ses promesses. Moi, qui cherchait des sensations hyper sculpturales. Créature aux allures humaines, dotée de la parole et de la coordination des gestes. La jeune femme vêtue de bleu réapparaît avec un agent double miniature à son oreille. Elle me regarde avec un étrange sourire :

- Oh ! C’est lui que vous avez choisi ! Mais oui, bien sûr. J’oubliais que vous aviez le coupon Titre Suprême. Vous serez donc assigné à la détention du droit à la touche ronde et rouge, actionnant protons, neutrons et argons...

- A moi ! Le bouton rouge à pression !

Devant mon enthousiasme, mon hôte clignote rouge d’exaspération. Je me calme et la laisse continuer son ketchup :

- Je vérifie que notre fameux terrien a bien été intercepté par nos agents doubles [affirmatif répond le lilliputien] et vous envoie un véhicule pour accéder à la cérémonie [héliport ready]. Je vous souhaite un bon amusement. Et merci d’avoir fait appel à la Clinicus du Nombre île Ulysse 31 pour votre mise sur votre 31. »

Je suis télétransporté dans une pièce somptueuse, draperies, lustres rutilants, tout le monde s’affaire autour de moi. J’applique mes premières leçons, et sort mon smartphone pour quelques selfies en mode « duckface » ; que je tweete sur le champ : « having fun in luxury palace !» Je fais encore des fautes d’orthographe, mais je m’intègre au mieux au système. Deux portes dorées s’ouvrent sur un parterre de milliers d’humains, je suis accueilli par des clairons et des tambours. Je continue mes leçons et donne du « Hello » autant que possible, sans oublier de montrer mon pouce à plusieurs reprises. Je serre des mains droites et je donne un coup de menton sur la joue des femmes. Tiens, en voilà une, vêtue de bleu céleste. Petit clin d’œil, j’entends dans mon cortex qu’il s’agit de ma femme. Une certaine Mélania. Visage lifté, pommettes réhaussées, seins siliconés, jambes agrandies, yeux tirés, dents blanchies… Est-ce qu’elle n’aurait pas eu un coupon supersonic comme moi ? J’essaierai de le découvrir. Je prends place au pupitre, donne encore un « hello », montre mon pouce et me lance dans le discours auto-calibré téléchargé en avant-phase.

Je vois un morceau de tissu flotter au-dessus de moi, il est rayé rouge et blanc, et il y a un carré bleu dans lequel scintille des étoiles. Petite nostalgie, je ne suis pas loin de ma galaxie, mais mon Cortex interne me rappelle à l’ordre :

« Rappelez-vous, nous sommes le 27 janvier 2017 au Capitol à Washington D.C., Monsieur Donald Trump ».

Je vais pouvoir continuer à envoyer des tweets et peut-être même appuyer sur le bouton rouge !